Un exemple de “scamcoin” : 暗黑币

La semaine dernière, j’avais présenté un cas d’école d’arnaque utilisant une plate-forme de trading en bitcoins ; aujourd’hui je voudrais m’attarder un peu sur un autre type d’arnaques tout à fait particulier à la Chine, et qui y a prospéré dans le sillage de Bitcoin : les 山寨币 shanzhaibi, ou “scamcoin”, dont le cas le plus sérieux est 暗黑币 anheibi, littéralement… Darkcoin.

Le terme “scamcoin” est relativement peu utilisé par chez nous, et évoque plutôt un altcoin peu innovant, destiné uniquement à permettre à son créateur et ses associés d’extorquer un peu d’argent aux investisseurs précoces. Le terme chinois, 山寨币 shanzhaibi, est à la fois beaucoup plus courant sur les forums et beaucoup plus savoureux, quoiqu’au fond guère plus précis que son équivalent anglais.

Shanzhai, un mot et un concept typiquement chinois

Starfucks 山寨
Shanzhai, fig.1 : une maîtrise approximative de l’anglais

Le concept de shanzhai, apparu avec l’essor économique de ces 30 dernières années et depuis propagé par internet jusqu’à devenir un véritable phénomène culturel, est comme souvent en chinois un nouvel emploi d’une expression littéraire très ancienne. 山 shan, la montagne, et 寨 zhai, un village : le terme évoque les bandits et seigneurs de guerre opérant depuis leur fief en marge du pouvoir impérial, comme par exemple les 108 brigands du classique Au bord de l’eau. Dans les années 80, le mot a commencé à être utilisé pour désigner les produits électroniques de mauvaise qualité produit dans des usines plus ou moins artisanales à Shenzhen. Avec l’essor d’internet, le terme a beaucoup gagné en extension ces dernières années, au point de pouvoir désigner les sosies de stars en vogue. Il peut donc concerner toutes sortes de produits qui exploitent honteusement la notoriété d’une marque bien établie à des fins bassement mercantile, avec autant de culot que de malhonnêteté. Le mot, péjoratif à l’origine, est aujourd’hui utilisé avec amusement, voire une certaine tendresse.

Shanzhai, Fig.2 : une absence de scrupule non sans candeur
Shanzhai, fig.2 : une absence de scrupules qui n’empêche pas une certaine candeur

Chuanxiao, ou la perversion de la vente multi-niveaux

传销

Sur cette capture d’écran prise dans un article dénonçant Anheibi, la page d’accueil d’un des sites frauduleux est barré avec les deux caractères 传销 chuanxiao. Le terme n’est pas du tout propre à cette affaire, ni aux arnaques impliquant les cryptomonnaies, au contraire c’est un phénomène beaucoup plus large et ancien en Chine. En effet, la traduction officielle que vous donnera probablement Google trad, multi-level marketing scheme ou vente multiniveau, est très insuffisante pour expliquer ce que contient réellement le terme chinois. Chuan signifie transmettre, xiao vendre : le produit est d’abord vendu à un premier groupe d’acheteurs, qui doivent ensuite chercher d’autres acheteurs pour pouvoir rentabiliser leur investissement initial. Cette pratique a donné lieu à des abus importants et très largement médiatisés dans les années 90, au point d’être absolument interdite en 1998, ce qui ne l’empêche pas de réapparaître ponctuellement comme le montre cette affaire.

Le produit vendu dans ce type de dispositifs n’a en lui-même pas grande importance, l’essentiel est que chaque acteur est transformé en vendeur, auquel on fait miroiter la fortune à condition d’être un bon vendeur. Les premiers acheteurs se retrouvent ainsi embrigadés dans une sorte de campagne de vente au cours de laquelle les escrocs vont exercer de multiples pressions plus ou moins subtiles pour qu’ils vendent ce produit en particulier à leur famille ou leurs amis. Les premiers entrants ont parfois payés très cher leur ticket d’entrée, et arnaquer les autres est leur seul espoir d’atteindre la fortune promise. Les Chinois comparent souvent cette pratique au Ponzi, dans le sens où tout repose sur un afflux suffisant de nouveaux entrants pour rémunérer les premiers investisseurs, sauf que dans ce cas ce sont les premières victimes qui cherchent elles-mêmes d’autres victimes pour perpétuer le système.

Anheibi, ou pourquoi je viens de vous raconter tout ça

Le cas du Anheibi ne relève malheureusement pas du côté sympathique et pittoresque du shanzhai (la Chine nous offre quelques exemples de ce genre que je documenterai peut-être dans un prochain article), mais bien de l’arnaque pure et dure décrite ci-dessus. En effet, contrairement aux scamcoins occidentaux, Anheibi est une imitation du Darkcoin (aujourd’hui Dashcoin) recouvrant une escroquerie tout ce qu’il y a de plus classique.

Profitant de l’essor de Bitcoin en tant qu’investissement populaire, ainsi que d’un reportage sur Darkcoin lors d’un journal d’info économique sur CCTV-2, plusieurs sites Darkcoin “officiels” sont soudainement apparus au début de cette année, certains poussant le réalisme jusqu’à se domicilier aux États-Unis ou louer des bureaux à Hong-Kong ou Shenzhen. Il s’agissait bien évidemment d’arnaques de différents types n’ayant aucun rapport de près ou de loin avec le véritable Darkcoin. Certains de ces sites proposaient des faux wallets Darkcoin, ou bien d’investir dans des machines de minage. Le retour sur investissement était toujours phénoménal, du moins sur le papier. La condition pour en bénéficier étant évidemment à chaque fois de “développer” son réseau , c’est à dire de vendre le même “produit” à d’autres personnes.

Les escrocs ont soigné la communication, et laissaient des messages sur QQ (une sorte de Whatsapp très populaire en Chine) ou sur 贴吧 tieba (une sorte de Yahoo Answer) pour vanter les mérites du minage de Darkcoin avec des témoignages plus dithyrambiques les uns que les autres. Plusieurs offres pour miner des Anheibi était proposées, dont le prix pouvait monter jusqu’à 150 000 RMB (environ 21 000€).

Les internautes chinois et la communauté Bitcoin a rapidement réagi et diffusé des messages d’avertissement sur les forums spécialisés, mais aussi sur les mêmes groupes QQ que les escrocs. En mars, Evan Duffield, le fondateur du véritable Darkcoin, a diffusé un court communiqué traduit en chinois dans lequel il certifiait que Darkcoin n’avait pas de site officiel en Chine, encore moins de programmes de vente multi-niveau, et que par conséquent tout site chinois s’en réclamant était une arnaque et devait être signalé aux autorités. Grâce à ces mesures, la menace a été rapidement endigué et le Anheibi a semble-t-il fait relativement peu de victimes. En mai, la police de la province du Jiangsu a annoncé l’arrestation d’un responsable d’un de ces sites, qui aurait arnaqué 200 personnes pour un montant de 10 millions de RMB (environ 1,5 millions € au cours actuel).

Sources :

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