Scaling Bitcoin Hong-Kong : des mineurs en quête de crédibilité

Après Scaling Bitcoin Montréal, la 2e édition hong-kongaise les 7 et 8 décembre derniers a réuni un nombre impressionnant d’intervenants, avec pour objectif de trouver une solution au problème de scalabilité de la blockchain. Outre les présentations de diverses solutions techniques, dont segregated witness qui semble avoir éveillé le plus d’intérêt au sein de la communauté, les organisateurs ont réuni les représentants des principaux pools de minage et fabricants de hardware mondiaux autour de la problématique du scaling, de la controverse autour des BIP100 et 101, de la peur de la concentration des mineurs et d’une attaque 51%, du Great Firewall of China etc. Voici quelques réflexions inspirées par le visionnage (tardif) de cet événement.

Avant toute chose, la liste des participants à la table ronde :

    • Sam Cole, KnCMiner
    • Wang Chun (王春), F2Pool
    • Marshall Long, FinalHash
    • Pan Zhibiao (潘志彪), Antpool
    • Liu Xiangfu (刘向富), Avalon
    • San Jin (三金), un mineur
    • Yao Yuan (姚远), BW
    • Alex Petrov, BitFury

Soit environ 90% de la puissance de calcul total sur le réseau réuni sur une estrade.

L’émergence de deux Mondes

On pourrait faire un premier constat qui ne surprendrait sans doute personne, et remarquer que sur 8 invités, 5 sont originaires de Chine, continentale plus précisément. La Chine semble ainsi asseoir son image d’acteur incontournable du minage, aussi bien la concentration de puissance de calcul que la fabrication de hardware spécialisé.

A quoi est due cette suprématie ? Certains intervenants chinois expliquent ce développement exceptionnel du minage par certains avantages comparatifs de la Chine : puissante industrie locale du hardware, énergie abondante et peu chère, réglementation inexistante ou facilement contournable. La concentration de ces quelques facteurs déterminants a permis l’émergence rapide d’une classe d’entrepreneurs qui a créé à partir de rien ou presque une industrie prospère.

Il me semble voir ici une véritable différence culturelle, voire socio-culturelle entre ces mineurs chinois, qui sont très manifestement des entrepreneurs opportunistes (et je le dis sans aucune connotation péjorative), et les intervenants occidentaux que je ne connais guère, mais dont le profil semble être davantage celui d’informaticiens dont l’intérêt pour Bitcoin est avant tout intellectuel.

Je pense que le manque de communication entre les acteurs chinois et occidentaux, que l’on serait tenté de mettre uniquement sur le compte de la barrière de la langue et des classiques « différences culturelles » entre la Chine et l’Occident, s’expliquent tout aussi bien par ces différences de profil et d’approche, intéressé d’un côté et idéaliste de l’autre.

J’ai d’ailleurs constaté, et je le déplore, que les capacités de conceptualisation et d’expression des mineurs chinois étaient assez pauvres comparés à celle de leurs homologues occidentaux. Yao Yuan n’a manifestement pas grand-chose d’autre à dire que de faire la retape pour son site, et se fait d’ailleurs sèchement rembarrer par l’interprète sur ce point (« 我们不做广告 », « pas de pub ici »). Traducteur qui fait d’ailleurs un travail remarquable pour donner du sens à certaines interventions extrêmement décousues, telle celle de San Jin sur les raisons du développement de l’industrie du minage en Chine.

Ironiquement, une ligne de démarcation culturelle, dont la dimension linguistique n’est peut-être que l’aspect le plus évident, semble continuer de contraindre les échanges entre ces deux hémisphères d’une devise qui se voudrait planétaire et transcendant toutes les frontières culturelles et linguistiques.

Mineurs de tous les pays, unissez-vous !

Il serait malgré tout trompeur de dire que ces deux Mondes ne peuvent pas s’entendre : au contraire, une des conclusions évidentes de cette table ronde me semble être que les mineurs de tous les pays, au-delà des différences de langue et de culture, sont tout à fait capables de faire front commun et de rechercher le compromis et le consensus quand il s’agit de la pérennité de leurs affaires. On voit ainsi une belle unanimité des participants à la fois sur la nécessité d’augmenter sans tarder la taille des blocs, mais aussi sur la solution à préférer puisque tous ont déclaré soit soutenir BIP100, soit ne pas avoir de solution préférée. En tout cas, aucun d’entre eux ne s’est prononcé en faveur de BIP101.

Principaux arguments avancés : une augmentation trop rapide de la taille des blocs impose des contraintes techniques importantes en termes de CPU, d’espace de stockage, de bande passante etc qui mettent en danger la fiabilité et la stabilité du réseau. Ainsi, même si tous s’accordent sur l’urgence de trouver une solution au problème de scalabilité de Bitcoin, il est hors de question que cette montée en puissance se fasse au prix de concessions sur la stabilité. Pour justifier leur soutien à BIP100, les intervenants arguent que le système de vote permettra d’ajuster plus finement la taille des blocs aux besoins réels, en plus de favoriser une communication régulière entre mineurs. Toutefois, aucun participant ne manifeste un soutien inconditionnel pour cette solution, et étonnamment la principale critique formulée par les mineurs est… que ce système leur donne le pouvoir de voter pour fixer la taille des blocs, une responsabilité qui ne doit pas leur incomber, affirment-ils.

Sans doute y a-t-il dans cette réponse une part d’hypocrisie, les mineurs semblant manifestement soucieux d’améliorer leur image, qu’ils savent plutôt mauvaise, par des déclarations de neutralité et des marques de désintéressement. Leur soucis principal, chinois comme occidentaux, est manifestement de faire montre de leur bonne volonté et de leur engagement pour le bien de la communauté, en montrant qu’il n’y a aucune contradiction entre le bien commun et leur intérêt bien compris : ainsi pour réfuter la possibilité que des mineurs exploitent leur position pour mener une attaque 51%, les participants développent longuement leurs arguments pour montrer qu’une telle attaque n’est en rien dans leur intérêt, car elle ruinerait instantanément la confiance des utilisateurs dans Bitcoin, et par conséquent la valeur monétaire des bitcoins en circulation, avant même de pouvoir être menée à bien.

Le sentiment d’une injustice, d’un manque de reconnaissance de leur rôle dans l’écosystème Bitcoin, apparaît en filigrane derrière chacune de leurs interventions. Ils rappellent constamment qu’en tant que mineurs ils ont investis des sommes importantes et énormément d’efforts pour garantir la fiabilité et la pérennité de Bitcoin, sont soumis à une concurrence impitoyable, et ont bien plus à perdre que quiconque dans l’hypothèse catastrophique d’une attaque 51% ou d’une saturation du réseau si la taille des blocs devait devenir trop faible.

Loin d’être les profiteurs que certains voient parfois en eux, ils soulignent que la concurrence est d’ores et déjà rude, d’autant plus que, comme le souligne un intervenant, dans le monde de Bitcoin, il n’existe aucun moyen de s’entendre et de créer un cartel pour empêcher l’arrivée de nouveaux entrants. Aucun gouvernement ni législation ne peut interdire à qui que ce soit de se lancer dans ce business, n’importe où dans le monde, et les mineurs ont ainsi beau jeu de répondre à certaines critiques en invitant leurs détracteurs à se lancer dans le business.

Ils évoquent également le rôle de contrôle des transactions qu’ils effectuent afin de contrer toute tentative de spamming ou de DDoS, et confirment les frais de transaction représentent aujourd’hui une part négligeable de leurs revenus, dont l’essentiel provient encore des bitcoins minés. Le sujet n’est évoqué par aucun d’entre eux, mais on sent l’inquiétude poindre à la veille du prochain halving, qui va d’autant fragiliser leurs revenus dans un contexte de concurrence féroce.

C’est donc une industrie du minage en voie de maturation et de professionnalisation, au-delà de ses fractures culturelles, que cette table ronde a révélé. Les mineurs souhaitent désormais sortir de l’ombre et se faire mieux connaître du grand public. Peut-être conscients de l’inquiétude qu’une solution comme BIP100 suscite auprès d’une partie du public, tous ont cherché à rassurer en affirmant leur rejet d’une solution qui leur donnerait plus de pouvoir, et à donner l’image de partenaires fiables et responsables pour les développeurs.

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